Collège : démolitions et ambitions
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Face aux réformes en cours ou à venir, une synthèse des revendications débattues et adoptées, localement puis nationalement, sur le mode de la démocratie directe, par les collègues militants à SUD Éducation.
« Je ne veux pas de réforme qui vienne d’en haut »(1). Que penser d’un ministre qui revendique publiquement la concertation tout en menant une réforme des rythmes qui exclue du dialogue tous les acteurs de l’Éducation ?
Arrêtons-nous un instant sur ce que M. Peillon laisse entrevoir (dans le dit entretien) de la réforme à venir du collège : « Il faut donner aux professeurs la possibilité de s’investir dans la relation avec les parents, l’innovation pédagogique, la coordination et la formation de jeunes collègues ».
Voilà ce que propose en substance le ministre. Passons-le au crible de la politique menée depuis qu’il est au gouvernement.
- La relation avec les parents, développée par le biais de l’Espace Numérique de Travail, tend à nous contraindre à une disponibilité de tous les instants, certains chefs d’établissement ayant poussé le vice jusqu’à relever le nombre de connexions hebdomadaires des enseignants ! « Et l’employé du mois est... »
- Investir les professeurs dans l’innovation pédagogique passe probablement aux yeux de M. Peillon par une formation continue rachitique qui ne propose plus que des « web conférences » ou des stages soumis à l’autorisation des chefs d’établissement et nécessitant de rattraper les heures de cours considérées comme « perdues »
- La coordination serait-elle introduite par le Conseil Ecole-Collège, promulgué par décret le 28 juillet 2013 et impliquant des enseignants bénévoles choisis par le chef d’établissement ? Ou bien peut-être passe-t-elle par le maintien du Conseil pédagogique dans lequel siègent, une fois encore, des enseignants bénévoles choisis par le chef d’établissement ?
- Investir les professeurs dans la formation de jeunes collègues... À l’heure de la mise en place des Emplois d’Avenir Professeur et des modalités de tutorat qui les encadrent, cette proposition tient réellement de la provocation !
Mais bien pire encore, ce que cache la réforme à venir du collège, ce n’est ni plus ni moins, pour les enseignants, que la refonte intégrale des statuts et des missions des professeurs de lycées et collèges, et pour les élèves, un parcours qui aurait pour objectif la validation de compétences professionnalisantes.
S’agissant des statuts, le but à peine voilé de nos gouvernants est la mise en place de la bi-disciplinarité et l’annualisation des services, déjà expérimentée à la rentrée 2012 dans certains établissements « pilotes » avec la globalisation des horaires de Langues Vivantes (684 heures par élève à répartir sur 4 ans).
Ceci se trouvera renforcé par une réforme déjà annoncée, la tripartition du temps scolaire : un tronc commun, des enseignements complémentaires, des activités de renforcement.
De là à ce que des disciplines telles que les enseignements artistiques, l’EPS ou la technologie deviennent des disciplines « complémentaires » ou « périscolaires », il n’y a qu’un pas ! La tripartition du temps scolaire pourrait aussi être l’occasion de revoir à la hausse les maxima de service, sous prétexte par exemple qu’une heure « d’encadrement » d’activités de renforcement ne pourrait être comptée comme une heure de classe.
Pour ce qui est des missions, le cadre pédagogique et disciplinaire est déjà profondément altéré par cette politique de validation des compétences définies à l’extérieur de la classe, compétences essentiellement guidées par la remise en cause des diplômes nationaux voulue par le MEDEF. Par ailleurs, l’ajout permanent de missions extra-pédagogiques, que symbolise à merveille la mise en place des IFIC (voir la brève à ce sujet), et la généralisation des tâches bénévoles ne relevant pas de notre fonction sont devenus absolument inacceptables et contribuent à un sentiment quotidien de déconsidération et à des situations récurrentes de souffrance au travail.
Pour autant, la position de SUD Éducation ne se limite pas à dénoncer les réformes annoncées ou déjà mises en place dans le secondaire, nous nous voulons également force de propositions et de revendications en affirmant notre attachement à un collège vraiment unique et émancipateur dans le cadre d’une école polytechnique et polyculturelle jusqu’à 18 ans.
I. Quels enseignements au collège ?
À un « socle commun » réduit à quelques matières dites « fondamentales » et évalué à travers des « compétences », nous opposons un enseignement polytechnique pour toutes et tous favorisant la coopération plutôt que la compétition entre élèves.
Au sein d’une formation commune, il s’agit d’aller vers un caractère polytechnique du collège, ce qui passe par des productions concrètes. Ainsi les cours de technologie, d’arts plastiques et d’éducation musicale doivent permettre des temps importants de pratique, le caractère expérimental des sciences doit être réaffirmé. Il faut s’opposer au remplacement des manipulations concrètes par la dématérialisation forcenée des apprentissages, progressivement imposée sous couvert d’entrée dans « l’ère du numérique ».
Tout cela suppose la révision des programmes nationaux, mais une révision qui soit cette fois-ci concertée afin d’éviter des situations aberrantes telles que celle de la rentrée 2013 en Histoire-Géographie, les enseignants de 3ème ne sachant toujours pas au bout d’un mois ce qu’ils devaient enseigner... Ces programmes nationaux ne doivent plus être la chasse gardée de l’Inspection et autres experts nommés par le pouvoir. Malheureusement, la création par M. Peillon du Haut Conseil de l’Education où ne figure aucun représentant des personnels enseignants n’augure pas d’une prise de conscience ministérielle à ce sujet.
II. Quels moyens ?
Afin de pouvoir lutter contre le tri social, de pouvoir élaborer des projets, de prendre en compte la diversité des élèves et de prendre en charge au sein de la classe la difficulté scolaire, il faut limiter les effectifs par classe.
SUD Éducation revendique des plafonds nationaux d’élèves par classe de la maternelle à la terminale, plafonds qui auraient valeur de norme indépassable, et qui soient abaissés dans l’éducation prioritaire et l’enseignement adapté. A ce sujet, l’étude STAR (enquête effectuée dans le Tennessee depuis 1985 auprès de 11000 élèves à propos de l’impact de la réduction des effectifs classes sur les résultats des élèves) tend à démontrer que la réduction du nombre d’enfants par classe n’a de réelle incidence qu’à partir de 20 élèves par classe. Au-delà, cela semble inefficace. A bon entendeur...
De même, des dédoublements définis nationalement doivent être réintroduits dans les grilles horaires des élèves pour tout le second degré.
En dehors de la classe aussi les effectifs doivent être revus. SUD Éducation revendique la définition d’un nombre maximum d’élèves par CPE et par personnel de vie scolaire (ces plafonds étant diminués en éducation prioritaire), une infirmerie ouverte sur tout le temps scolaire dans chaque établissement avec la présence d’au-moins un personnel infirmier titulaire, un-e Assistant-e Social-e à temps plein dans chaque établissement, et des COP en nombre suffisant pour assurer une présence régulière dans tous les établissements et reprendre en charge l’orientation des élèves de 3ème pour laquelle ils/elles sont bien plus qualifié-e-s que les professeurs principaux.
Pour que les établissements retrouvent une taille humaine et favorisent la mixité sociale, SUD Éducation revendique des collèges de 400 élèves maximum et la réaffirmation d’une carte scolaire.
Quant à la prise en charge des difficultés scolaires, nous en refusons toute externalisation hors de la classe ou des enseignements telle que pratiquée aujourd’hui par le biais de l’Aide Personnalisée ou l’Accompagnement Éducatif. La différenciation de l’enseignement, nécessaire à la prise en charge de ces difficultés, ne peut se faire qu’avec des effectifs réduits ou des classes dédoublées. Remplacer cette possibilité par des groupes réduits et ponctuels de « soutien », « d’aide individualisée » et autres « études dirigées » ne fait que substituer à l’enseignement proprement dit une « remédiation » individuelle des dégâts que les effectifs surchargés ont eux-mêmes en partie générés.
III. Quelles conditions de travail ?
Deux études sur le temps de travail des enseignant-e-s en 2010 ont été publiées le 13/07/2013 par la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du Ministère de l’éducation nationale (DEPP) : en moyenne, les enseignant-e-s du secondaire travaillent plus de 41 heures, soit près d’une heure et demie de plus qu’en 2008 ! Désormais, au-delà des tâches de préparation et de gestion des cours, se développe un ensemble de contraintes et d’activités « annexes », incontournables et dévoreuses de temps dont nous ne ferons pas ici la liste tant elles sont connues de tous.
Il est temps de réagir et d’exiger la définition des tâches qui sont à la charge des enseignant-e-s et de revendiquer une diminution du temps de travail, en refusant toute flexibilisation ou annualisation, et donc en défendant la définition du temps de service par des maxima hebdomadaires de service diminués.
La réduction du nombre d’heures de cours pour les enseignant-e-s doit permettre de prendre en compte dans leur service des tâches annexes assurées actuellement pour partie gratuitement, de dégager un temps de concertation pour les équipes pédagogiques, et de dégager un temps de travail en équipe pluri-professionnelle pour l’ensemble des personnels compris dans leur temps de service (prise en charge des élèves et des problèmes de façon collective...)
Nous revendiquons également que les tâches supplémentaires et la pénibilité liée à certaines fonctions et à certains postes de travail soient compensées par des réductions de service et non des indemnités (IFIC) ou des heures supplémentaires. Ainsi, en éducation prioritaire, nous revendiquons une décharge spécifique supplémentaire d’1h30. Les professeur-e-s principaux/ales doivent aussi bénéficier d’une décharge de service (le temps de vie de classe devant être préalablement intégré dans leur service), ainsi que les enseignant-e-s qui accompagnent les stagiaires.
Ces revendications ne sont pas irréalistes, elles réclament une réelle volonté politique de donner enfin au collège son caractère « unique » dont on nous rebat les oreilles depuis 1975 sans se donner les moyens de le mettre en place. Toutefois, elles ne pourront voir le jour que si le rapport de force est en notre faveur, car ne nous leurrons pas, rapport de force il y aura. Et si nous ne voulons pas aller de désillusions en désillusions comme pour les réformes du système de retraites (voir l’article à ce sujet), il est urgent que nous investissions collectivement ces revendications.
Encore une fois, il y va de notre système scolaire et de notre statut. Si nous ne voulons pas nous retrouver dans la situation de nos camarades du premier degré qui subissent de plein fouet l’application désastreuse d’une réforme non concertée et voient leur temps de travail et de présence dans l’établissement notoirement augmenter, il nous revient de le faire savoir haut et fort, sur notre lieu de travail, dans la rue et par les luttes. |
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