La taille des classes EST déterminante
par
Le 3 mai 2001, le journal Le Monde titrait, en page 9 : « La taille des classes n’est pas déterminante dans la réussite des élèves ». Le grand quotidien français se faisait ainsi l’écho d’un avis rendu par le Haut Conseil de l’Evaluation de l’Ecole (HCEE) affirmant que « la politique de réduction de la taille des classes, conduite depuis trente ans, au fil de l’eau, n’était pas efficace ». Le HCEE proposait plutôt d’orienter les (maigres) moyens disponibles vers l’aide individualisée et la formation des enseignants.
La preuve par STAR
Par Nico Hirtt
Pourtant, une lecture attentive de cet article, signé Stéphanie Le Bars, permettait de découvrir l’exact opposé de la thèse affichée dans le titre : « les études existantes montrent que les effets ne se révèlent positifs que lorsque les classes passent de 20 à 15 élèves ou de 15 à 10, mais demeurent insignifiants lorsqu’elles passent de 40 à 20 ! Ainsi, l’une des plus importantes recherches américaines effectuée auprès de 11.000 élèves (…) montre que les classes de 13 à 17 élèves permettent aux écoliers de gagner 8 places sur 100 ». Mais, laissait-on entendre en conclusion : puisqu’une telle réduction est budgétairement trop lourde à porter, cessons d’en parler…
Le Monde passait ainsi un peu rapidement sur l’une des très rares études ayant mesuré scientifiquement l’impact de la taille des classes sur les performances des élèves : l’étude américaine STAR…
La plupart des enseignants de terrain en sont convaincus : ils travaillent mieux et obtiennent de meilleurs résultats dans de petites classes. Pourtant, depuis quelques années, il est de bon ton d’affirmer que le nombre d’élèves par classe n’aurait guère d’influence sur la qualité de l’enseignement. Si la thèse est compréhensible - et peu crédible - dans la bouche de décideurs politiques cherchant à justifier l’austérité budgétaire, elle devient plus troublante lorsqu’on la trouve brandie par des chercheurs en sciences de l’éducation ou par des militant de mouvements pédagogiques. L’essentiel, nous dit-on, n’est pas de réduire la taille des classes mais de rénover nos pratiques pédagogiques. D’autres, plus nuancés, estiment que la réduction des effectifs peut être efficace, à condition toutefois qu’elle soit utilisée pour permettre l’innovation pédagogique. Le consensus semble régner sur un point : une simple réduction du nombre d’élèves, sans réformer les pratiques, serait inopérante.
Cette croyance gagne du terrain, même au sein des organisations syndicales, où l’on n’ose plus désormais réclamer des moyens supplémentaires pour une école démocratique de peur de se faire taxer de "corporatiste " ou de « ringard ».
Les preuves douteuses de l’inefficacité des petites classes
Il faut reconnaître qu’un certain nombre d’études semblent effectivement remettre en cause l’efficacité présumée des petites classes comme remède à l’échec scolaire ou à la sélection sociale. Je dis bien « semblent », car en vérité aucune de ces études n’est exempte de sévères critiques méthodologiques.
Par exemple, Waldo Hutmacher, du Service de la Recherche sociologique de Genève, a montré que malgré un important programme de réduction des effectifs scolaires dans l’enseignement primaire genevois au cours des années 70 et 80, qui a ramené le nombre moyen d’élèves par classe de 25,5 à 18,8 entre 1972 et 1988, on n’a guère observé de diminution des redoublements ni des inégalités entre enfants de différentes origines sociales [HUTMACHER 1993].
Le même type d’arguments est avancé par Eric A. Hanushek, qui constate que la diminution régulière du nombre d’élèves par instituteur aux Etats-Unis n’a pas entraîné d’amélioration des résultat aux tests nationaux [HANUSHEK 1998].
Les données sur lesquelles se basent ces études sont inattaquables. Pourtant elles ne démontrent rien du tout quant à l’impact de la taille des classes et ce pour deux raisons évidentes. Premièrement, les élèves (et les parents) des années 90 ne sont pas les mêmes que ceux des années 70.
Par exemple, les espoirs que ces parents et étudiants pouvaient placer dans l’éducation durant une période de croissance économique durable et d’élévation générale du niveau des qualifications étaient forcément différents de ceux des années de chômage massif et de dualisation sociale.
Deuxièmement, l’école de 1990 n’est pas non plus la même que celle des années 60 ou 70. Bien des réformes ont eu lieu, touchant les programmes, les horaires, les pratiques pédagogiques. Comment distinguer l’impact de la réduction des effectifs par classe de celui des autres évolutions ? En d’autres mots, les faits observés par Hutmacher, Hanushek et bien d’autres peuvent tout aussi bien indiquer qu’à défaut d’une réduction des effectifs, la situation aurait empiré davantage...
Ces objections sont parfois rejetées en faisant état de l’échec de politiques volontaristes visant à améliorer la qualité de l’enseignement par une réduction drastique et rapide du nombre d’élèves par classe.
Là encore, l’argumentation manque de sérieux, car elle néglige les biais introduits pas les conditions-mêmes dans lequelles ont eu lieu ces diminutions d’effectifs.
Par exemple, certaines études montrent que le surcroît d’encadrement dévolu aux Zones d’Education Prioritaire (ZEP) en Belgique et en France ou à leurs équivalents nationaux dans d’autres pays n’aurait guère amélioré les résultats moyens de ces écoles. C’est oublier un peu vite que la caractérisation d’une école comme ZEP est un stigmate qui contribue à y concentrer les « publics difficiles ».
Nous sommes là face à une situation bien connue des expérimentateurs, où la réalisation de la mesure perturbe la caractéristique-même que l’on est sensé mesurer.
Il en va de même pour les maigres résultats observés à la suite d’une diminution brutale du nombre d’élèves par classe dans les écoles californiennes en 96-97. On sait aujourd’hui, notamment grâce aux travaux de Randy Ross, que cet échec était imputable essentiellement aux conditions de mise en œuvre d’un projet pourtant généreux.
Par son caractère brutal, précisément, l’expérience californienne a créé un déficit en insituteurs, obligeant les écoles à recruter des enseignants peu exprimentés et incitant les autres à profiter de l’occasion pour obtenir leur mutation dans les écoles réputées « faciles ».
On s’est donc retrouvé avec une concentration d’enseignants inexpérimentés dans les écoles « difficiles » [ROSS 1999]. Dans ces conditions, la stabilité des résultats des élèves plaiderait plutôt en faveur des petites classes puisque la diminution de la qualité des enseignants aurait dû, en tout logique, entraîner une chute de la qualité de l’enseignement. !
Hanushek et d’autpes invoquent également l’absence de corrélations statistiques entre la taille moyenne des classes dans un pays et son niveau de réussite lors de tests standardisés internationaux (comme les enquêtes TIMSS et PISA). Mais si la Corée du sud, par exemple, obtient de brillants résultats en mathématique avec des classes de plus de 30 élèves, cela ne nous apprend rien quant aux causes de ces bons résultats, pas plus d’ailleurs que cela ne nous dit quoi que ce soit sur la « performance » globale de l’enseignement coréen. En tout cas on ne peut en tirer aucune leçon quant à l’impact du nombre d’élèves par classe.
A bien y regarder, il semble qu’aucun des arguments habituellement invoqués pour contester l’efficacité des petites classes n’est recevable ; car aucun ne s’appuie sur une étude réellement scientifique.
Quelles devraient être les conditions d’une telle étude ? Si l’on veut mesurer l’impact d’une intervention donnée (ici, la réduction du nombre d’élèves par classe) sur un ensemble de caractéristiques observables chez des individus (ici, les résultats scolaires), il faut impérativement travailler avec deux échantillons comparables et aléatoires, dont l’un seulement fera l’objet de l’intervention en question. C’est le seul moyen de garantir que les observations puissent se faire « toutes choses restant égales par ailleurs ». A ce jour, à notre connaissance, seules deux recherches ont été réalisées dans ces conditions de rigueur scientifique pourtant élémentaires : d’une part l’étude américaine STAR que nous allons détailler ci-dessous et d’autre part une recherche toujours en cours, menée par le professeur Blatchford de l’Institute of Education à l’université de Londres (nous reviendrons à la fin de cet article sur les premiers résultats préliminaires de l’étude du professeur Blatchford).
Le programme STAR
Le programme STAR (Student-Teacher Achievement Ratio) a été lancé en 1985 par l’Etat du Tennessee. Il a consisté à suivre une cohorte d’élèves pendant quatre années, depuis l’école maternelle (Kindergarten, l’année pré-primaire) jusqu’au third grade (troisième année primaire). Dans chaque école participante, le Département de l’Education du Tennessee a réparti aléatoirement les élèves et les enseignants en trois types de classes : les petites classes (généralement 13 à 17 élèves), les classes normales (comptant typiquement 22 à 25 élèves) et les classes normales assistées d’un aide-enseignant à temps plein (composées également de 22 à 25 élèves). L’un des objectifs était en effet de comparer l’impact d’une réduction des effectifs à celui d’un aide-enseignant.
Afin d’éviter que les différences de curriculums, le mode de gestion, le climat scolaire ou d’autres facteurs spécifiques à chaque école n’influencent les résultats, toutes les écoles participantes devaient être suffisamment grandes pour pouvoir organiser chacun des trois types de classes dans chacune des quatre années faisant l’objet de l’étude initiale.
L’étude couvert au total 79 écoles, réparties dans 42 districts. Les établissements ont été classés en quatre catégories :
(1) inner-city (écoles métropolitaines dans lesquelles plus de la moitié des étudiants avaient droit à des repas gratuits ou à prix réduits - donc des écoles à public « défavorisé ») ;
(2) zone urbaine ;
(3) zone sub-urbaine (quartiers de la middle-class américaine) ;
(4) zone rurale.
L’ampleur de l’étude STAR est immense : 11.600 élèves au total ont été suivis (mais pas toujours durant quatre ans, puisque des élèves ont pu changer d’établissement scolaire durant la durée de l’enquete). Parmi eux, 1.842 sont restés dans le même type de classe pendant quatre années et 2.571 sont restés dans le même type de classe durant les trois premières années primaire (le Kindergarten n’étant pas obligatoire au Tennessee).
Chaque année, les élèves de l’étude STAR ont été testés en lecture et en mathématiques au moyen du Stanford Achievement Test et du Tennessee Basic Skills First Test. Les chercheurs de l’équipe STAR ont ainsi pu étudier l’évolution des résultats scolaires. Au cours des années suivantes, différentes études ont comparé les performances scolaires ultérieures des étudiants STAR. Aujourd’hui encore, alors que les étudiants STAR achèvent leurs études supérieures ou sont déjà sur le marché du travail, des recherches continuent d’apporter chaque année leur lot de nouveaux résultats.
Les premiers résultats :
les petites classes, ça marche mieux !
Dès les premières publications de résultats, STAR a montré que les élèves des petites classes surpassaient les élèves des classes normales et des classes avec aide, et ce dans toutes les zones géographiques et dans toutes les années d’étude.
En revanche, les élèves de classes avec un aide-enseignant plein-temps n’obtenaient pas de résultats significativement supérieurs à ceux des élèves de classes normales (disons d’emblée que dans l’ensemble des résultats basés sur STAR, l’impact d’un aide-enseignant est systématiquement nul, voire même parfois négatif ; nous n’en parlerons plus par la suite).
En moyenne, sur quatre ans, les élèves des petites classes avaient, en lecture, un avantage d’un peu plus de huit centiles sur les élèves des classes normales, avec ou sans aide-enseignant. C’est-à-dire que dans un classement des élèves en cent niveaux hiérarchiques de taille égale, ceux des petites classes se situaient en moyenne huit niveaux - huit « centiles » - au-dessus des autres. En mathématiques, l’écart était d’un peu moins de huit centiles.
Une autre mesure de la différence entre petites et grandes classes est ce que les auteurs appellent effect size (terme pour lequel j’ignore s’il existe un équivalent français). Pour l’obtenir, on calcule l’écart entre les résultats moyens des deux groupes et on le rapporte à l’écart-type de l’ensemble de l’effectif (voir ci-dessous). Cet effect size était de 0,26 en lecture et de 0,23 en mathématiques. [WORD 1990]
Les premières études des données STAR ont également montré qu’en quatre ans, 19,8% des élèves de petites classes avaient dû redoubler une année, contre 27,4% des élèves de classes normales [WORD 1990].
Depuis lors, les professeurs Nye et De Wayne (Tennessee State University) ont mis le doigt sur une faiblesse des premières études. Etant donné que le nombre d’élèves d’une année d’étude ne permettait pas toujours de les répartir exactement en classes-type telles que prévues par l’étude, certaines « petites classes » comptaient en réalité plus de 17 élèves et certaines « classes normales » étaient plutôt petites. Nye et De Wayne ont donc réestimé les différences de performances en excluant les petites classes qui ne comptaient pas entre 12 et 17 élèves et les grandes classes de moins de 23 élèves. Dans ces conditions le effect-size double, passant à 0,56 en lecture et 0,47 en mathématiques.[NYE 1999]
Les enfants d’origine populaire, premiers bénéficiaires des petites classes
Un des résultats les plus intéressants de l’étude STAR c’est que le bénéfice des petites classes est particulièrement sensible dans les écoles « inner-city » comptant de grandes concentrations d’élèves « de couleur » et de milieux pauvres. Jeremy Finn et Charles Achilles ont par exemple montré que, dans la plupart des comparaisons, le bénéfice des élèves « de couleur » était deux à trois fois celui des « blancs ». De même, les recherches réalisées en 1997 par Alan Krueger sur les données de l’étude STAR ont abouti à la conclusion que les élèves les plus faibles, « de couleur » et pauvres, profitaient le plus des petites classes. [FINN 1999, KRUEGER 1999]
A titre, d’exemple, voici le progrès des taux de réussite aux tests BSF (Basic Skills First Test) produit par les petites classes, selon l’année d’étude et l’origine ethnique, en lecture et en mathématique. On observe que chez les enfants de minorités ethniques (afro-américains et latino-américains) la participation à une petite classe entraîne une augmentation des taux de réussite de l’ordre de 7 à 17% selon les années et les disciplines. [WORD 1990]
Augmentation du taux de réussite aux tests BSF grâce aux petites classes
Lecture | Grade 1 | Grade 2 | Grade 3 |
---|---|---|---|
Blancs | 4.8% | 1.6% | 4.0% |
Minorités | 17.3% | 12.7% | 9.3% |
Tous | 9.6% | 6.9% | 7.2% |
Mathématique | Grade 1 | Grade 2 | Grade 3 |
---|---|---|---|
Blancs | 3.1% | 1.2% | 4.4% |
Minorités | 7.0% | 9.9% | 8.3% |
Tous | 5.9% | 4.7% | 6.7% |
Ainsi, les chercheurs Achilles, Finn et Bain ont montré que chez les enfants ayant fréquenté les petites classes du Kindergarten, l’écart de pourcentage à la réussite du Basic Skills First Reading Test entre enfants blancs et non-blancs était ramené à 1% (87 et 86% respectivement) contre un écart de 12% chez ceux ayant fréquenté des classes normales. [FINN 1999]
Le bénéfice est-il cumulatif et l’effet est-il durable ?
Les résultats initiaux de l’expérience STAR semblaient indiquer que l’écart entre les scores des élèves de petites classes et ceux de classes normales apparaissait surtout au terme de la première année, mais que cet écart n’augmentait plus durant les années suivantes. Cela a conduit certains à limiter la portée des résultats de STAR et de conclure que la réduction des effectifs n’était efficace qu’au Kindergarten et, éventuellement, en première année primaire.
En réponse à ces allégations, Krueger avait déjà calculé que, si l’écart entre élèves de petites classes et de classes normales était de quatre centiles au terme de la première année, il continuait de croître d’à peu près un centile chacune des années suivantes [KRUEGER 1997]. Une croissance, il est vrai, assez faible, à la limite même de ce qui est statistiquement significatif.
Pour clarifier la situation il a fallu attendre les récents résultats de l’étude LBS (Lasting Benefit Study) qui a examiné la trajectoire scolaire ultérieure des étudiants STAR. La recherche LBS a montré que tout au long des huit première années d’école (depuis grade 1 jusque grade 8) les étudiants qui avaient été scolarisés en petite classes durant tout ou partie des trois première années continuaient d’obtenir des résultats significativement supérieurs à ceux des autres élèves. Barbara Nye, Larry V. Hedges et Spyros Konstantopoulos ont ainsi montré qu’en huitième année, chez les enfants ayant passé au moins deux années en petites classes, l’effect size était toujours de 0,3 à 0,37, c’est-à-dire similaire à l’écart observé en quatrième et en cinquième. Quant au bénéfice de quatre années passées en petites classes, il était au moins quatre fois celui d’une seule année en petites classes. En d’autres mots, chaque année supplémentaire apporte bel et bien un bénéfice équivalent à long terme. [NYE 1999]
Les chercheurs Finn et Achilles ont ajouté une autre dimension à la littérature concernant le bénéfice des petites classes : ils ont converti les différences de résultats en « équivalences de niveaux » (grade equivalents). L’équivalence de niveau pour un résultat de test est le niveau d’étude pour lequel ce résultat constitue le score médian. Par exemple, si le niveau médian des résultats des élèves scolarisés au quatrième mois de la troisième année d’étude est 85, alors l’équivalence de niveau d’un résultat de 85 pour ce test est le niveau 3 ans + 4 mois. Ainsi on peut mesurer les différences entre élèves de petites et de grandes classes en différences de « niveau d’étude » exprimées en années et en mois. Le tableau ci-dessous convertit le bénéfice annuel des petites classes en équivalences de niveaux. [FINN 1999]
L’avantage des petites classes
mesuré en équivalences de niveaux (exprimées en mois)
activités | Kindergarten | Grade 1 | Grade 2 | Grade 3 |
---|---|---|---|---|
mathématiques | 1.6 mois | 2.8 mois | 3.3 mois | 2.8 mois |
lecture | 0.5 mois | 1.2 mois | 3.3 mois | 4.6 mois |
Le tableau suivant est plus intéressant encore : il représente le bénéfice de quatre années successives passées en petites classes (depuis Kindergarten jusqu’à Grade 3) mesuré aux niveaux 4, 6 et 8 [FINN 1999].
Bénéfice à moyen terme
de quatre années passées en petites classes
(exprimé en équivalences de niveaux )
activités | Grade 4 | Grade 6 | Grade 8 |
---|---|---|---|
mathématique | 5.9 mois | 8.4 mois | 13 mois |
lecture | 9.1 mois | 9.2mois | 14 mois |
science | 7.6 mois | 6.7 mois | 13 mois |
Les résultats sont remarquables puisque le bénéfice d’avoir passé quatre années initiales en petites classes continue de s’accroître d’année en année. En Grade 8, les élèves qui avaient passé quatre années en petites classes ont plus d’un an d’avance en mathématique, en lecture et en sciences sur les élèves des classes normales !
Ce bénéfice à long terme est une des toutes grandes leçons de l’étude STAR. Et de nouvelles données continuent régulièrement d’arriver, qui confirment cette conclusion. Ainsi, les étudiants STAR n’ayant pas subi de retard scolaire ont achevé la High School (l’équivalent américain du lycée) au printemps 1998. En avril 1999, Alan Krueger et Diane Whitmore ont fait état des résultats préliminaires d’une analyse du taux de participation de ces étudiants aux examens d’entrée du premier cycle post-secondaire, le College (les tests ACT et SAT). Parmi les étudiants ayant passé leur première année STAR en petites classes, 43,7% ont présenté le test ACT ou SAT, contre 40% des étudiants scolarisés en classes normales durant leur première année STAR. Pour les étudiants noirs, la participation initiale à une petite classe était nettement plus bénéfique : 40,2% de participation aux tests ACT ou AST, contre 31,7% pour ceux qui avaient initialement fréquenté une classe normale.
En d’autres termes, le fait d’avoir fréquenté une petite classe plutôt qu’une classe normale (durant la seule première année de participation à l’étude STAR) suffisait pour réduire de 54% l’écart entre blancs et noirs dans la participation aux tests d’entrée du College 12 ans plus tard ! Il importe de remarquer que, bien qu’une proportion plus élevée des étudiants de petites classes STAR aient présenté les examens ACT ou SAT, leurs résultats moyens à ces tests ont été les mêmes que ceux des classes normales. On aurait en effet pu supposer qu’une participation plus large se traduirait par une baisse des résultats moyens. Il n’en est rien. En d’autres mots, il ne s’agit pas que d’un effet d’incitation à présenter le test. [Krueger 1998]
Les résultats préliminaires d’une autre recherche, basée sur l’expérience scolaire en High School de plus de 3.000 élèves STAR, a montré que 72% des participants aux petites classes ont obtenu leur diplôme de High School à l’heure, contre 66% des élèves de classes normales. Alors que 23% des élèves de classes normales avaient décroché de la High School, seuls 19% des élèves issus de petites classes étaient dans ce cas. Ici encore, on peut supposer que l’analyse des effets sur les enfants de classes populaires sera bien plus grand.
Dans ces dernières études, on a comptabilisé au nombre des élèves de « petites classes » tous ceux qui ont passé au moins leur première année dans de petites classes de l’étude STAR. Ce choix a été imposé en raison de la réduction de l’effectif (on a perdu la trace de beaucoup d’étudidants STAR au bout de dix années). Or, comme nous l’avons vu, les études de Finn ont montré que les effets les plus bénéfiques à terme de huit ans sont observables chez les élèves ayant passé quatre années consécutives dans les petites classes. On peut donc raisonnablement supposer que, dans ce cas, les effets de long terme (High School et entrée au College) sont également plus importants que ceux indiqués ici.
Blatchford
Depuis peu, STAR a inspiré une étude similaire réalisée par Peter Blatchford de l’Institute of Education de l’Université de Londres. Lui et son équipe ont suivi deux cohortes de 8.000 élèves durant leurs trois premières années d’école fondamentale (4 à 7 ans). Leurs premières conclusions ont été présentées en 2000 lors de la conférence de la British Educational Research Association, à Cardiff. Leur étude a mis en évidence des gains mesurables dans les tests de lecture et de mathématiques chez les enfants de petites classes. En lecture, le niveau des résultats descend régulièrement quand le nombre d’élèves passe de 15 à 30. En mathématique, on observe une amélioration des résulats dès que le nombre d’élèves passe en dessous de 25. En lecture, une réduction du nombre d’élèves de 25 à 15 représente un gain d’une année pour les enfants les « moins bons » et un gain de cinq mois pour tous les autres.
Des observations systématiques menées dans deux échantillons de grandes (30 élèves) et de petites classes (20 élèves) ont montré que les élèves des petites classes communiquaient davantage avec leur instituteur, qu’ils étaient plus souvent l’objet de l’attention du maître, jouaient un rôle plus actif, posaient plus de questions et répondent plus souvent aux questions du professeur. L’analyse détaillée a également montré que dans les petits groupes l’enseignant avait une meilleure connaissance de chaque élève, qu’il répondait plus efficacement aux demandes de chacun. En résumé, Blatchford estime que « dans les petites classes les enfants ont plus de chance de recevoir une aide à l’apprentissage de la part de l’enseignant ». [BLATCHFORD 2000]
Conclusions
Si l’étude STAR et celle de Blatchford sont tellement importantes, c’est d’abord en raison de leur haute tenue scientifique. Comme le dit Alan Krueger, chercheur à l’université de Princeton, parlant du projet STAR, nous sommes ici dans une situation où « une seule expérience bien conçue devrait définitivement réduire au silence une cohorte d’études mal contrôlées, fournissant des observations imprécises et des données statistiques incertaines » [KRUEGER 1997].
Ces études établissent de manière irréfutable trois faits cruciaux. Premièrement, la réduction de la taille des effectifs scolaires dans les premières années d’enseignement est bel et bien un facteur crucial de réussite scolaire, toutes choses étant égales par ailleurs. Deuxièmement, les effets d’une réduction initiale de la taille des classes sont durables et semblent même augmenter au fil des années d’étude.
Enfin, troisièmement, les deux études s’accordent sur le fait que la réduction de la taille des classes permet de réduire considérablement les écarts entre enfants de différentes origines sociales. Dans la perspective d’une volonté de démocratiser l’enseignement ce résultat est évidemment d’une importance extrême.
Nico Hirtt(Appel pour une école démocratique)
Références
Blatchford Peter, New evidence on class size, Summary of symposium to be presented at the British Educational Research Association Annual Conference, Cardiff, 2000
Finn, Jeremy D. and Achilles, Charles M.,Tennessee’s Class Size Study : Findings, Implications, Misconceptions, Educational Evaluation and Policy Analysis, Summer 1999. Cité par Alex Molnar [Molnar 1999]
Hanushek, Eric A., The evidence on class size, Occasional Paper n° 98-1, W. Allen Wallis Institute of Political Economy, University of Rochester, février 1998
Hutmacher, Walo, Quand la rélité résiste à la lutte contre l’échec scolaire, Analyse du redoublement dans l’enseignement primaire genevois, Service de la recherche sociologique - Genève, Cahier n°36, Genève, 1993.
Krueger , Alan B., Experimental Estimates of Education Production Functions, Princeton University Industrial Relations Section, Working Paper #379, May 1997. Cité par Alex Molnar [Molnar 1999]
Krueger, Alan B. ; Whitmore, Diane M.,The Effects of Attending a Small Class in the Early Grades on College Attendance Plans, Princeton University, April 9, 1999. Cité par Alex Molnar [Molnar 1999]
Molnar Alex, Smaller Classes and Educational Vouchers:A Research Update Keystone Research Center, June 1999
Nye, Barbara ; Hedges, Larry V. ; Konstantopoulos Spyros, The Long Term Effects of Small Classeq : A Five Year Followup of the Tennessee Class Size Experiment, Educational Evaluation and Policy Analysis, Summer 1999. Cité par Alex Molnar [Molnar 1999]
Pate-Bain, Helen ; Fulton, B. DeWayne ; Boyd-Zaharias, Jayne, Effects of Class-size Reduction in the Early Grades (K-3) on High School Performance, Health and Education Research Operative Services (HEROS), Inc., April 1999. Cité par Alex Molnar [Molnar 1999]
Randy Ross, The Dark Secret Behind Californiaís Class Size Reduction Program,î Education Week, May 17, 1999. Cited from Richard Rothstein, « Small Classes Make a Big Difference . . . Ceteris Paribus »
Word, Elizabeth et al., Student/Teacher Achievement Ratio (STAR) : Tennesseeís K-3 Class Size Study, Final Summary Report 1985-1990, Nashville, Tennessee Department of Education, 1990.
Sites à visiter :
Le document de synthèse d’Alex Molnar dont cet article est largement inspiré :
http://www.uwm.edu/Dept/CERAI/documents/archives/99/keystoneupdate.pdf
Le site du Health and Education Research Operative Services, Inc, qui est à l’origine de l’étude STAR. Vous y trouverez tous les documents cités et les liens vers les sites relatifs à l’étude STAR :
Le site du du CERAI (Center for educational research, analysis and innovation) présente les résultats d’une autre expérience (SAGE). Leurs archives regorgent de matériel : http://www.uwm.edu/Dept/CERAI/sage.html.
Le site de l’ Institute of Education de Londres où travaille le professeur Blatchford.
http://ioewebserver.ioe.ac.uk/ioe/index.html
Le site du California Class Size Reduction Program :
http://www.cde.ca.gov/ftpbranch/sfpdiv/classize/