Quand l’absence de remplaçants génère une « atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale (1) »
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Deux camarades profs des écoles, exerçant dans un collège du 54, dans l’éducation spécialisée, se sont vu refuser un stage de formation syndicale, par leur hiérarchie, en février dernier, au titre de « l’absence de remplaçants ». C’était sans compter sur l’action du syndicat, sur le droit qui joue ici en notre faveur, ainsi que sur les nombreuses irrégularités de forme dans la démarche de la DSDEN. Les deux camarades, soutenus par SUD Éducation Lorraine, ont donc, après avoir tenté un recours à l’amiable, engagé un référé liberté devant le Tribunal Administratif de Nancy. Et nous avons gagné. Les deux collègues ont donc pu, le lendemain du jugement, se rendre à la formation syndicale portant sur... les droits des personnels ! Une victoire importante pour SUD et pour les personnels.
Concernant les éléments de droit tout d’abord : le congé pour formation syndicale(2) est un congé de droit, au même titre que le congé annuel, le congé maladie ou encore le congé maternité (Loi n°83-634 du 13 juillet 1983, art. 21). « Le bénéfice du congé ne peut être refusé que si les nécessités du fonctionnement du service s’y opposent » (Décret n°84-474). La raison invoquée pour ce refus de départ en formation (l’absence de remplaçant) a été reconnue comme tardive, non démontrée à la clôture de l’instruction et insuffisante par le Tribunal Administratif. En outre, le Tribunal a estimé que nos deux camarades étaient « fondés à soutenir qu’une atteinte grave et manifestement illégale a été portée à une liberté fondamentale », à savoir la liberté syndicale.
Ensuite, un élément non négligeable est l’apport de données chiffrées de la part de la DSDEN auprès du Tribunal Administratif (après clôture de l’instruction). En effet, nos deux collègues exerçant en collège, dans l’éducation spécialisée, ils dépendent donc des corps de remplaçants professeurs des écoles pour le 54. Et la DSDEN de faire remarquer que « pour la journée du 11/02, les 213 remplaçants, soit la totalité des effectifs, ont été affectés en remplacement, il reste 141 classes sans remplacement » ; « pour la journée du 12/02, les 213 remplaçants ont été affectés et il reste 71 classes sans remplacement » ; pour les deux journées du 14 et du 15/02 « après affectation des 213 remplaçants, il restera au moins 64 classes non remplacées ». Les chiffres sont parlants : pour ces quatre journées consécutives le déficit structurel de remplaçants engendre entre 64 et 141 classes sans enseignants remplaçants dans le seul département du 54 ! C’est donc loin d’être un déficit exceptionnel... Rappelons que c’est le ministère qui a provoqué les suppressions de postes engendrant la fonte drastique des corps de remplaçants, entre autres. C’est donc le ministère qui sème, et la DSDEN qui récolte, générant au passage des attaques « graves et manifestement illégales » quant à l’exercice d’une liberté fondamentale, la liberté syndicale. La hiérarchie fait donc ici d’une pierre deux coups : d’une part elle supprime de nombreux postes de remplaçants, ce qui constitue une économie importante à l’échelle du pays, et d’autre part cela permet d’attaquer gravement la liberté syndicale.
Et les élèves dans tout ça ? C’est en effet le point le plus intéressant de cette histoire. À moins que cette semaine précise ne soit exceptionnelle, nous sommes en droit de supposer que chaque semaine, dans le département de Meurthe-et-Moselle, il y a au moins une soixantaine de classes sans remplaçants, ce chiffre pouvant monter jusque 141 (à notre connaissance...). Quel est l’intérêt, pour le ministère d’avoir supprimé des postes à ce point, et de continuer à en supprimer dans notre Académie à la rentrée prochaine, d’ailleurs ? Une erreur ? Bien sûr... Cela serait plutôt à mettre en lien avec la réduction massive des dépenses publiques, au risque de la dégradation progressive, discrète, rarement avouée, du service public.
Ça n’est pas sans rappeler le Cahier 13 de l’OCDE qui affirmait noir sur blanc des directives au niveau européen : comment détruire vos services publics ? Quelques recettes : 1/ il est nécessaire de dégrader la qualité des services publics, 2/ cela permet de pointer du doigt des dysfonctionnements, et de légitimer des réformes, destructrices à leur tour, 3/ les dégradations et dysfonctionnements engendrent une baisse d’inscriptions puisque les parents qui le peuvent préfèrent alors inscrire leur enfants dans le privé, 4/ ensuite on argumente sur la baisse d’effectif, on fait passer ça pour une baisse démographique et on ferme à nouveau des postes et des structures supplémentaires. Puis retour au point 1 et on recommence (continue). Le tour est discrètement joué. Tout semble lié. Machiavélique ?
(1) Extrait de l’arrêté du jugement.
(2) 12 jours ouvrables par an maximum.